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Être féministe au Sénégal

Depuis quelques temps, le mot féminisme apparaît sur moult publications sur les réseaux. On le dénigre, on le revendique, on s’interroge dessus… En tout cas, le mot féminisme interpelle et s’inscrit de plus en plus dans le paysage du Sénégal

Pas de place pour le féminisme au Sénégal ?

Pour montrer que le feminisme n’a pas sa place au Sénégal, Ils sont prêts à vous dire qu’ils ont des sœurs, une mère, une femme… donc ils n’ont rien contre l’épanouissement des femmes.

Celui qui viole une fille innocente n’a pas une mère à la maison ? Une sœur ? Il n’y a jamais eu de fillette sortie de l’école par son père pour la marier de force à un de ses vieux amis ? Ces hommes qui réduisent leurs femmes en esclave dans la vie conjugale n’ont jamais eu de sœur ou une mère ? Les femmes elles-mêmes ne conduisent-elles pas leurs filles à se faire mutiler les petites lèvres et le clitoris ?
Vous répondrez évidemment à l’affirmative. Donc je ne m’attarde plus sur ces arguments « vous êtes nos sœurs, nos mères, nos épouses, on ne vous veut aucun mal » pour étouffer le feminisme.

Sur un plateau de télé, un célèbre enseignant nourissait en direct une certaine culpabilité des femmes violées. Mais le plus malheureux est que des femmes, particulièrement des voilées, ont approuvé de telles inepties.

Récemment un vieux misogyne qui pollue l’audiovisuel demandait qu’un test de virginité soit fait dans les écoles pour vérifier l’état des moeurs. Et malgré tout ça, on ose nous dire que la société sénégalaise respecte énormément la femme et donc aucun mouvement féministe n’y a sa place.

Ces affirmations sortent à la télé sans problème. Ce genre de personnes doivent être bannies des plateaux de télé.

féminisme Sénégal
Femmes traditionnelles, Crédit photo : @ArstyBee, via pixabay

Le mot féminisme dérange ? ?

Au fur et à mesure qu’on se fait entendre sur internet, on est identifié comme féministe. J’ai cru, un moment, que le feminisme s’allie à des mouvements encore tabous au Sénégal. Et c’est pour cette raison qu’on le diabolise. Mais arrêtons nous une minute. Chronologiquement, on est d’abord feministe avant de se définir feministe. Le feminisme a traversé des générations et des générations. L’idéologie existe bien avant la connotation. Partout où il y a eu discrimination basée sur le sexe, celui qui s’y est opposé est féministe.

Sans m’identifier comme feministe ou tout en étant même vaguement hostile à ce qualificatif, j’ai été féministe. Mes proches n’ont pas cessé de me coller cette étiquette de feministe vu ma manière de penser.

En nous voyant nous indigner contre les violences et considérations sexistes, nombre de Sénégalais nous balancent  » féministes « . C’est le mot qui dérange ou c’est la phallocratie qui ne veut pas bouger ? Une tentative de définition ne nous sort pas de l’auberge car les sexistes savent bien qui est féministe ou pas.

En vérité, ce n’est pas le mot qui dérange. Certains hommes sont encore très bien à l’aise dans leur phallocratie. Les femmes sont recluses dans le statu quo. C’est plutôt l’idéologie féministe, le message libérateur adressé aux femmes qui dérangent. Car ils menacent la structure machiste des sociétés.

Féminisme et religiosité au Sénégal

Dans un pays qui se réclame largement musulman, brandir l’argument religieux pour contrer le féminisme devient facile. Toutes les idées reçues collées à l’islam servent à éviter le débat de fond sur le féminisme. Une religion qui promeut l’oppression de la moitié de ses fidèles en serait-elle une ?

Au tout début, je me servais du religieux pour revendiquer l’égalité homme/femme. Parce que, oui, c’est grâce à ma religion que je ne suis plus sexiste. Je croyais à la hiérérchisation naturelle et légale des sexes. Mais à quoi bon convoquer la religion dans les lois sénégalaises ? Le Sénégal est un pays laic. Il ne fonctionne pas selon la loi établie par les hommes musulmans (la charia) comme en Arabie Saoudite ou dans d’autres régimes islamistes.

Pour mettre la religion au coeur des débats, il faudrait parler de féminisme islamique. Ce féminisme qui se justifie entièrement par le Texte coranique. Il ne voit le jour logiquement que dans les pays où la loi ne doit être en contradiction avec les règles islamiques. Il peut paraitre plus compliqué a priori. Mais le pays où le féminisme d’Etat a le plus réussi en Afrique est la Tunisie. Le féminisme adopté par Bourguiba dans le code du statut personnel est essentiellement inspiré des travaux de théologiens tunisiens.

Féminisme et traditions au Sénégal

Réponse à une panafricaniste

Par ailleurs on peut sortir « la fidélité aux coutumes et traditions » pour s’opposer au féminisme. Et c’est tellement facile de le faire et de s’attirer la sympathie de la masse quand on le réduit à la culture occidentale! C’est bien de refuser que l’Afrique soit un continent de consommateurs. Mais pour les bonnes causes, il faudrait faire preuve d’ouverture. En même temps, on ne peut chanter que l’Afrique « était matriarcale » et refuser par la suite qu’on s’attaque au patriarcat qui serait lui un produit colonial, donc ocidental.

D’ailleurs, l’adorable panafricaniste Thomas Sankara pense lui que le statut misérable des femmes découle de la colonisation occidentale. il dit:

« Le poids des traditions séculaires de notre société voue la femme au rang de bête de somme. Tous les fléaux de la société coloniale, la femme les subit doublement : premièrement, elle connaît les mêmes souffrances que l’homme ; deuxièmement, elle subit de la part de l’homme d’autres souffrances. »

Thomas Sankara, https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/01/04/thomas-sankara-le-feministe_6024805_3212.html

En outre, certains nous parle souvent de féminisme adapté aux valeurs culturelles sénégalaises. Mais qu’est-ce que cela veut-il vraiment dire ? Si selon les valeurs une fille doit être excisée pour ne se soucier que du plaisir de son mari, je me demande bien de quel semblant de féminisme parlent-ils. Si des valeurs culturelles préfèrent qu’une fille qui subit l’inceste garde le silence pour la réputation de sa famille, je me demande de quel semblant de féminisme ils parlent.

Pour finir, le féminisme est une question d’humanisme

Il faudrait un minimum d’humanisme pour militer pour le durcissement des peines pour le viol et la pédophilie. Le Sénégal n’y est arivé que récemment, grâce aux manifestations féministes. Un minimum d’humanisme suffirait pour revendiquer la transmission automatique de la nationalité de la mère à l’enfant, encore problématique dans certains pays. Les inégalités salariales entre hommes et femmes pour les mêmes activités professionnelles sont contraires aux valeurs de justice. Les inégalités entre hommes et femmes sont encore plus grandes et plus profondes. Elles doivent être combattues par toutes et tous.


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Auteur·e

vivredanslemonde

Commentaires

Maman Fatou Danfa
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Ma chérie t’as tout dit ,on dirait que tu lis dans mes pensées, j’ai adoré rien à ajouter, suis de tout cœur avec toi .je taimmadore????

Youssoupha Mane Chelsea Meleze
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Machallah
En tout cas Dieu a toujours donné à la femme une place très importante dans son projet de société. La grossesse est l'exemple parfait

Dr K.
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Le feminisme a toute sa place et tous les arguments y sont. Et il ne s'agit certainement pas de se mettre contre les hommes, mais plutôt d'être pour une amélioration des conditions de vie des femmes.
Tout être humain devrait pouvoir vivre sa vie comme il l'entends et non comme un autre le décide.

Mary Soumaré
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Voilà

Diariatou Sylla
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Magnifique.

Mary Soumaré
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Merci

Louise
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c'est très juste ce texte ! toutes les inégalités doivent être combattues !!

Mary Soumaré
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Merci